Entretien avec Nicolas Anglade

Nicolas Anglade

Nicolas Anglade est un photographe professionnel clermontois. Le Labo l’a accueilli à deux reprises : en mai 2018 avec une série sur la ville de Detroit et en 2019 avec son expo « Escales Américaines ». Il expose régulièrement son travail, à Clermont entre autres. Il intervient aussi fréquemment en milieu scolaire avec des ateliers. Il a bien voulu nous parler de son confinement et de la manière dont il l’a vécu artistiquement et professionnellement, entre appropriation, adaptation et projection.

Propos recueillis par Mariette Barrier le 26 mai 2020.

Temps de lecture : 7 min.

Le confinement et toute cette période étrange ont-ils été propices à la création ?

Pas exactement. Je vis en appartement avec deux jeunes enfants qui demandent beaucoup de temps, ce qui m’en a laissé moins pour bosser ma créativité. J’ai mis en place des ateliers photo avec eux et j’ai tout de même entamé une série sur le confinement.

Tu as donc continué à faire des prises de vue ?

Oui, j’ai fait plutôt des prises de vues de type studio, avec un drap noir pour unique accessoire, en cherchant une source lumineuse. J’ai pris en photo mes enfants, ma compagne et aussi des objets du quotidien.

Beaucoup d’images en intérieur donc, est-ce que tu as pu en faire aussi en extérieur ?

Non, pas beaucoup. J’ai pris l’appareil une ou deux fois pour aller en ville. Artistiquement et psychiquement, c’était un peu désespérant : la ville comme un dimanche éternel, il n’y a rien qui se passe. J’ai essayé de faire quelques images la nuit aussi, mais ça ne m’a pas tellement inspiré non plus.

« Des périodes compliquées comme celle-ci, c’est bien de se les approprier. »

Le contexte sanitaire a-t-il affecté ta manière de travailler, tes habitudes ?

Oui, car je suis plutôt en extérieur d’ordinaire. Mais dans le cadre d’ateliers j’ai aussi l’habitude de proposer ce type de dispositif ultra simple que j’ai repris et appliqué chez moi. J’aurais voulu développer cela un peu plus, avec plein d’objets, à plein de moments différents, mais je n’ai pas réussi à le faire au rythme que j’aurais voulu. Me poser, m’astreindre plusieurs fois par semaine autour de cette pratique, c’était compliqué avec cette ambiance particulière, les enfants à gérer…

Tu as dit avoir entamé une série sur le confinement, est-ce par volonté d’en parler ou par impression de ne pas pouvoir y échapper ?

Ça a fleuri un peu partout. Je trouvais que ce dispositif fond noir s’y prêtait bien. Et c’est vrai que dans des périodes compliquées comme celle-ci, c’est bien d’essayer de se les approprier artistiquement parlant. Travailler autour du quotidien, sur un espace très clos, exigu, avec juste ce drap noir pas très grand et voir ce qu’on peut y rentrer, ça allait bien avec ce qu’on vivait. J’ai aussi essayé des choses, essayé de mettre des textures, même au traitement de l’image, d’altérer l’image en post prod, de la brouiller. Ce sont des tentatives. Il y a cette photo qui est assez représentative de la période pour moi :

N. Anglade / 26 mars 2020 / La ligne Covid
Dixième jour de confinement.
Je mélange la farine de sarrasin et la farine de blé sans entrain.
Mon esprit tente de s’échapper de se corps enfermé.
Je rumine ma fuite en laissant traîner mon regard par-delà les toits.
La proportion de ciel au-dessus des bâtiments n’est pas suffisante.
L’enferment distille son poison depuis ce matin.
Je commence à étaler ma pâte directement dans le moule à tarte.
Elle non plus ne veut pas se laisser contraindre, elle refuse le confinement dans son plat.
Elle me résiste, me renvoie à mon impossibilité de m’échapper, de voir l’océan, d’emmener mes enfants bivouaquer, de savourer un demi picon entouré de quelques ami-e-s, d’avoir l’impression d’imiter encore et toujours la signature de ma mère pour avoir le droit de sortir plus tôt…
En guise de rouleau à pâtisserie j’ai pris un verre épais.
Je le lève à mon impuissance, et le fracasse contre cette pâte rebelle.
Des bouts de verre partout… dans mes doigts, dans ma pâte loupée, sur la table, par terre,
et un bien logé dans le creux de ma main rouge de sang.
A défaut d’une quiche aux poireaux, j’ai gagné une nouvelle ligne de la main.
Pour un temps elle vient croiser ma ligne de vie.
La ligne Covid…

Pour certains, le confinement a été l’occasion d’un recentrage, d’une prise de recul. Est-ce que tu as utilisé ce temps pour avoir une réflexion sur tes travaux, pour replonger dans tes archives ?

Non, seulement des photos ultra récentes. A l’inverse d’habitude, j’aime bien laisser passer du temps avant de me replonger dans mes images. C’est plus simple pour l’editing de se débarrasser des affects liés à la prise de vue pour avoir un regard neutre et opérer une sélection. Mais là, j’avais besoin de me mettre dans des paysages que j’avais arpentés juste avant le confinement. En revanche j’avais des idées pour me projeter après le confinement, des grandes idées parce que pendant le confinement tout est possible. Et puis quand ces idées passent par l’entonnoir du réel, tu te dis « mais où est-ce que j’étais parti ? » Hier et avant-hier je suis parti marcher. Pour moi, la marche c’est bien mieux que le confinement pour se recentrer. L’effort physique et la pensée se mettent en route de façon beaucoup plus intéressante. Ça me permet d’avoir des idées plus sensées que celles que j’ai ressassées durant cette espèce de période où tout macère, mais mal.

« Tout est fait pour qu’on soit isolé. »

J’imagine que dans cette macération d’idées, il y a aussi une inquiétude au niveau professionnel, comment tu le vis ?

Oui bien sûr : j’avais des ateliers jusqu’en juin qui ont tous été annulés. Je dirais que ça a plutôt accentué cette inquiétude qui, dans notre boulot, pour moi en tout cas, est présente tout le temps. Je ne sais pas de quoi demain sera fait, confinement ou pas. J’ai quand même quelques ateliers pour l’an prochain, mais ça ne suffira pas à faire l’année. Effectivement ces inquiétudes sont accélérées parce qu’on sait qu’il va y avoir moins de dates, que ça va être compliqué. Comme d’habitude, il faut essayer de chercher d’autres pistes.

Justement dans tout ça, est-ce que tu te sens aidé, accompagné ?

Non, je trouve qu’on est super seuls. Je pense que c’est le cas de bien des secteurs sous le statut de travailleur indépendant. On n’a aucun droit au chômage, aux congés payés donc c’est vraiment le statut idéal pour le capitalisme de base : zéro Droit du Travail. Tout est fait pour qu’on soit isolé. Post-confinement, j’espère qu’il va se passer des trucs socialement, que ça va bouger un peu, que les gens seront solidaires des mouvements qui se présentent. Et puis j’ai vu qu’il y a un syndicat de photographes et artistes-auteurs qui vient de se monter, à voir.

Les gens peuvent-ils faire quelque chose pour vous soutenir ?

J’ai sollicité un peu le public, comme j’ai des expos qui ont été annulées. J’ai créé un site de vente de photos en ligne, chose que je n’avais pas fait jusque-là : https://nicolasangladephotographie.bigcartel.com/ (ndlr : on peut aussi voir son travail ici). Les gens peuvent acheter une cinquantaine de tirages, avec des prix de 55 à 90 euros. J’ai lancé ça il y a une semaine en communiquant par mail, par Facebook. Je suis assez content parce que j’ai vendu une vingtaine de tirages, à des copains et puis des gens que je ne connais pas. C’est ma petite activité de reprise : envoyer les tirages, les remettre. C’est chouette parce que ça recrée du lien aussi, certains viennent les chercher, on papote autour d’un café ou d’une bière. J’ai aménagé une petite table sur mon palier, devant l’escalier.

Outre cette initiative de vente, as-tu des projets qui se montent malgré le contexte ?

J’ai un projet porté par le SMAD des Combrailles avec lequel je bosse depuis quelques années. Il s’agirait d’accompagner une classe de collège qui irait faire des photos chez des paysans. Ces paysans, nous les emmènerions ensuite en Grèce ou en Pologne rencontrer leurs homologues pour qu’ils puissent à leur tour faire des photos et aussi des écrits. On travaille avec une comédienne d’une compagnie de théâtre. C’est un projet qui débouchera sur une expo au Sommet de l’Elevage. C’est génial car ça rejoint une partie de mon travail personnel autour de la ruralité et de la paysannerie. Sinon, j’avais entamé une série pour le Conseil Départemental en octobre. J’étais allé faire le Tour des Vaches Rouges à pieds et en tente en faisant des photos et du son sur le Cézallier. C’est un coin que j’ai bien envie d’arpenter et de questionner photographiquement parlant. Et là aussi le confinement apporte plein de questions : est-ce que je l’aborde en couleur, en noir et blanc, en argentique ? Plein de doutes qui viennent et il faut essayer de mettre au clair tout ça pour y aller, faire des images.

 

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