Entretien avec Corinne Chosson

Corinne Chosson est la responsable du Labo 1880 et également photographe. Elle s’est aussi prêtée au jeu de l’interview. Voici son ressenti sur cette période particulière que nous traversons.

Propos recueillis par Mariette Barrier le 12 juin 2020.

Temps de lecture : 8 min.

Est-ce que cette période a été propice à la création, que ce soit en photo ou dans un autre domaine ?

Pour la photo ça a été le trou noir complet. J’ai juste fait quelques photos pour rigoler avec mon téléphone. La photo ci-dessous est vraiment représentative de mon imaginaire photo. Donc fermeture totale, ce n’était juste pas possible. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Enfin si, j’ai une petite idée : je pense que c’est parce que j’ai besoin d’une certaine énergie qui n’était pas là. Pour moi la photo c’est se projeter vers l’extérieur. Et du coup, pour moi, le confinement a été beaucoup plus une question d’introspection.

photo confinement Corinne Chosson

C. Chosson / mai 2020

En revanche, il y a un truc que je faisais il y a très longtemps, quand j’étais ado ou jeune adulte : j’écrivais. Comme c’est chronophage, avec la vie active j’ai arrêté. Donc j’en ai profité pour me remettre à l’écriture et j’ai écrit un livre. C’est un journal de confinement mais sous forme de fiction, basé sur des faits réels. Je viens de le finir et je vais le publier à compte d’auteur, prochainement (ndlr : il est disponible ici).

Tu n’as pas fait non plus de labo, de tirages, de développement ?

Non parce que pour moi le labo vient à la suite de la photo. Le fait d’être toute seule dans sa chambre noire pourrait passer pour de l’introspection, mais pour moi pas du tout. C’est vraiment une action de projection vers l’extérieur parce qu’on travaille des choses qu’on va montrer. Donc je n’avais pas de matière et puis je n’avais pas envie de m’enfermer. C’est un peu paradoxal parce que j’étais enfermée chez moi et je le vivais bien, je travaillais aussi. La photo et le labo sont tellement liés pour moi, vu que je ne fais que de l’argentique. En revanche, les premiers jours du déconfinement, donc à partir du 11 mai, j’ai vite ressorti l’appareil photo pour faire une série sur les commerçants du quartier du Port. Donc ça c’était sympa, même si ça caillait ! Premier jour de déconfinement, boum ! Déjà en train de faire des photos !

Et depuis cette série, tu as repris la photo ?

Non, je n’ai pas eu le temps parce qu’il y a Phoenix Productions. Puis au niveau de ma situation pro, c’est un peu compliqué. Autant en photo, je suis professionnelle, autant je travaille aussi chez Phoenix Productions où on fait de la production de spectacles. On a dû gérer, y compris pendant le confinement, toutes les annulations, tous les artistes, avec les problématiques de droit, les problématiques sociales, voire les problématiques psychologiques. Et avec la reprise on est encore plus à fond. Et puis j’ai une troisième activité qui est de tenir le Labo 1880. Il n’y a plus d’expos, la dernière s’est arrêtée le 15 mars avec Rémi Boissau. Tout ce qu’on avait prévu en avril-mai est tombé à l’eau. On a aussi perdu notre service civique pendant deux mois. Du coup, j’ai pris la décision de n’ouvrir que le vendredi après-midi pour pouvoir me consacrer à Phoenix où il y a vraiment du travail en ce moment.

Pour revenir aux quelques photos que tu as faites pendant le confinement, est-ce que justement elles traitent de ce confinement ?

J’ai fait cette photo-ci avec mon téléphone juste avant le confinement (elle va faire la couverture de mon livre d’ailleurs) : il y a cette façade du quartier du Port avec un avion qui passe. J’y ai beaucoup pensé pendant le confinement et je trouve qu’elle en traite un peu, dans la mesure où il y a cette traînée d’avion. C’est à la fois le rêve d’aller ailleurs et en même temps le fait qu’il n’y ait plus ces avions et que ça purifie un peu, que ça dépollue. Après coup, j’avais trouvé que c’était représentatif.

C. Chosson

Et il y a la photo avec la fenêtre et le reflet des briques (ndlr : voir plus haut) : je trouve qu’elle est représentative aussi, mais plus de l’état mental de certaines personnes. Pas le mien, mais beaucoup de gens ont senti une espèce d’enfermement et de privation de liberté qu’ils ont mal vécue. J’ai pensé à eux en faisant cette photo. Mais ce n’est pas une photo qui me représente moi. Comme je l’écris sur ma présentation Instagram : ce que je pense faire en photo d’art, je le fais à l’argentique, et ce qui est fait avec le téléphone, c’est pour m’amuser, comme un jeu.

Est-ce que tu as envie de traiter par la suite du confinement et de ses conséquences ?

Il s’est passé beaucoup de choses dans mon mental. Le fait d’être confinée, ça m’a laissé plus de temps et de possibilités d’observer, de noter, d’où ce livre. Donc je pense qu’il s’est passé vraiment beaucoup de choses, je pense aussi que ce n’est pas quelque chose d’anodin qui nous est arrivé, même si deux mois à l’échelle d’une vie ce n’est pas aussi énorme qu’il parait. Ce n’est pas non plus une guerre qui a duré plusieurs années, c’est une petite parenthèse. Mais je pense qu’il va y avoir un impact. J’ai du mal à avoir assez de recul, je pense qu’il y a des choses qui doivent se digérer, et ça dans la tête de tout le monde. Dans les photos que je fais, je me suis rendu compte que la place de l’humain interroge souvent. Donc je pense qu’il va forcément y avoir une influence, même si elle est ténue et même si je ne sais pas encore laquelle. De toute façon quand je fais mes photos je ne me pose pas tellement de questions et c’est une fois qu’elles sont sorties que je me dis « ça peut amener une belle réflexion ». Je ne vais pas aller faire des photos en me disant « je veux signaler, je veux démontrer, je veux revendiquer telle chose ». C’est un peu le mystère, je me laisse guider par le destin quelque part, par ce que je vois, par ce que je capte. Et c’est marrant parce qu’avec le confinement, on a tous été obligés de faire ça, on a été au pied du mur. Tout ce qu’on avait prévu ne tenait plus, il fallait tout le temps anticiper, passer sur autre chose. C’est d’une certaine manière mon travail de tous les jours en photo. Donc tout le monde a été un peu dans mon état d’esprit de travail photo.

Est-ce que tu as regardé ce que d’autres ont pu faire ?

Oui, sur les réseaux sociaux essentiellement. Et c’est aussi ce qui ne m’a absolument pas motivée à sortir faire de la photo. Car ce que j’ai vu, c’était surtout de la photo urbaine avec des rues vides. Donc c’est de la photo du dimanche. Je trouvais que c’était super compliqué d’en faire du photo-reportage de confinement. Si aujourd’hui je vais faire une photo dans Clermont un dimanche, je pourrais très bien dire « ça c’était pendant le confinement » alors que non. Je n’ai pas trouvé qu’il y ait des choses très marquantes. Mais je n’ai pas tout vu, évidemment. Par contre ce que j’ai trouvé super intéressant, ce sont des photos de nature qui ont été faites en bravant les interdits pendant le confinement. J’en ai acheté une. A la photo que je trouvais déjà bien s’ajoute ce petit truc secret, parce que le mec n’a pas le droit de dire qu’il a bravé les interdits pour aller faire sa photo. C’est la démarche qui m’a plu.

Quelles conséquences vois-tu pour le milieu professionnel de la photo ?

J’ai l’impression que ça a été compliqué pour tout le monde. J’ai vu pas mal d’annonces de personnes qui vendent tout ou partie de leur matériel parce qu’ils ont besoin d’argent. Dans le même temps, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui a émergé que je n’ai pas tellement aimé. Déjà tout ce qui est artistique a été mis au rebut. Mais ça je peux le comprendre, les circonstances ont mis en exergue tout ce qui est de première nécessité. Et puis tout ce qui est artistique, notamment le spectacle, qui implique le contact avec le public, a été mis de côté. Mais quand la reprise est arrivée, je me suis rendu compte que la culture était non seulement toujours dispensable, mais surtout que les gens qui en voulaient de nouveau nous rendaient service, à nous artistes. Il fallait presque faire comme les musiciens sur internet qui ont joué gratuitement. Mais on vit comment ? J’ai eu cette expérience avec quelqu’un qui m’a proposé un système de troc pour échanger un masque en tissu contre un portrait de son enfant. Or on sait le travail que ça représente de faire une photo, avec toutes les étapes et puis la valeur n’est pas la même. Normalement une photo je la vends une centaine d’euros. Un masque si tu le prends vraiment haut de gamme, c’est quinze euros. Donc j’ai vu qu’il y avait une espèce de déperdition et je le déplore. J’espère que le niveau va remonter, sinon la culture va vraiment devenir quelque chose pour une élite, et encore, on va nous acheter une image pour nous rendre service, quoi. Ce n’est pas un constat très positif mais j’espère que ça va changer, j’espère que je me trompe. Et j’aimerais qu’on me montre que je me trompe, vraiment ! Que tout le monde vienne m’acheter mes photos (ndlr : qu’on peut voir sur ce site) [rires]. Il y a aussi les ateliers que je fais au labo. Il faut que les gens s’initient, qu’ils se recalent. On a l’impression d’avoir vécu un truc incroyable, c’est vrai. Mais à l’échelle d’une vie ce n’est pas grand-chose, ce n’est pas une rupture si profonde que ça. Je pense que la rupture elle va peut-être venir dans les prochains mois avec des changements, avec une crise économique. J’espère que ça va bien se passer, mais c’est clair que ça ne va pas être très facile là. Et c’est là qu’on peut avoir des réelles conséquences, une réelle fracture.

Quels sont les projets pour les mois qui viennent, en tant que photographe mais aussi pour le Labo ?

En tant que photographe, je vais reprendre tous mes négatifs et faire des mini-tirages que je ne vais pas vendre très cher pour rentrer de l’argent, c’est important. Je vais aussi essayer de voir ce que vaut ce livre. Je vais continuer à faire des photos, en fonction des projets et des propositions sympa qui viennent, comme d’habitude. Au niveau du Labo, tout ce qu’on avait prévu cet été est annulé. Logiquement, on reprend le 18 septembre prochain pour les Arts en Balade. Ensuite, le Festival Nicéphore+ en octobre. Et en novembre, l’exposition du concours photo de la plus belle photo ratée. Ce concours c’est un projet qui date d’un moment, on l’a lancé pendant le confinement. Je ne m’en suis pas encore occupée plus que ça, donc cet été sera l’occasion de remettre le nez dedans. J’ai repoussé la date : on peut encore participer jusqu’à fin juillet. Pour l’instant on doit être à une trentaine de candidatures. Certaines de Belgique, de Bulgarie, donc on a passé le cap du concours international ! Sinon, il y a eu la mise en place des interviews. Moi je n’ai rien fait, j’ai laissé faire et je jette seulement un coup d’œil final. J’ai bien envie de parler de ça parce que le problème du Labo, c’est que tout le monde croit que c’est moi, mais pas toujours ! Donc là c’était toi et je t’ai laissée faire. Merci encore, Mariette !

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