Entretien avec Christophe Darbelet

Il a été le tout premier (avec Ludovic Combe) à exposer au Labo en 2017 à l’occasion des Arts en Balade et il était revenu en 2018. Christophe Darbelet, photographe professionnel aimant donner une part d’absurde à ses photos, évoque avec nous sa pratique pendant et au sortir du confinement.

Propos recueillis par Mariette Barrier le 11 juin 2020.

Temps de lecture : 7 min.

Depuis quand fais-tu de la photo ? Quelles sont tes différentes activités ?

Je suis photographe depuis début 2000. J’en fais depuis l’âge de 15 ans. J’ai appris dans un club photo dans une maison des jeunes. Je faisais beaucoup de laboratoire pendant un temps. Aujourd’hui, avec mon activité, je fais des travaux de commande. Je fais des prises de vues avec des thèmes et des clients très différents : ça peut être des reportages, des photos d’objets, etc. Et à côté de ça, je fais des photos davantage pour moi, de séries plus personnelles pour des expos ou des projets d’édition. Ce travail plus artistique tourne un peu autour de l’étrange, de l’absurde. L’absurdité du quotidien, on peut dire.

Pendant le confinement et la période qui a suivi, est-ce que tu as créé ? Est-ce que tu as continué les prises de vues ?

Les quinze premiers jours j’ai rendu mes boulots de commande. Et en même temps, comme j’avais du temps, je me suis replongé dans mes archives. Nos esprits étant complètement pris par le contexte, ma lecture d’image m’a fait extraire des photos qui me faisaient penser au confinement. Donc j’ai sorti une quinzaine d’images que j’ai postées en partie sur Instagram. Il y a des images qui faisaient écho à l’enfermement, au fait d’être complètement figé. Avec un peu d’humour et d’absurde. Par exemple il y a cette image d’un soldat figé dans le béton en écho au discours militaire d’Emmanuel Macron.

Après ces quinze premiers jours, je commençais vraiment à m’ennuyer. Alors un copain éditeur m’a commandé des paysages à une demi-heure de chez moi, en montagne bourbonnaise. J’ai récupéré un petit logement où je suis allé et où j’ai passé beaucoup de temps sur le mois et demi d’après. J’y ai travaillé le jour et aussi la nuit. Je partais avec un appareil photo qui n’avait aucun réglage, un argentique. Je n’avais pas envie de me prendre la tête avec des réglages. J’avais l’impression d’être seul, parce qu’il n’y avait vraiment personne sur les routes et même dans la campagne. C’était pas mal. Quand j’ai développé les premières pellicules, je me suis rendu compte que le fait d’être enfermé et de ressortir d’un coup, ça donne qu’on trouve tout génial. Parce qu’on trouve tout beau et qu’on est surpris par les choses. Et donc quand ce premier truc passe et qu’on développe les pellicules quinze jours après, on se rend compte qu’il n’y a en fait pas grand-chose à récupérer. Ensuite, plus j’avançais dans le temps, plus j’arrivais à prendre du recul et je ne ressentais plus du tout le fait d’être dans ce confinement, dans cette ambiance un peu oppressante.

Est-ce que tu penses qu’on ressent cette ambiance du confinement dans les photos que tu as faites ?

Les plus réussies, c’était de nuit. Ça pouvait être des détails de cabanes abandonnées, des écritures et des tags sur les murs. J’ai fait de la couleur, avec des filtres sur le flash. Je travaillais beaucoup avec le filtre rouge, il y avait un truc intéressant avec ça. C’est un appareil qui donne beaucoup de contraste quoi.

C. Darbelet / Sans titre, 2020

A part la photo, est-ce que tu t’es consacré à d’autres activités ?

J’ai beaucoup marché là-bas en fait. C’est quelque chose que je faisais moins ces derniers temps. Donc ça m’a permis de sortir et de vraiment marcher des journées entières. Sinon, pas d’autres activités.

Du point de vue de ton activité professionnelle, comment as-tu vécu la période ?

C’était plus que calme. En bossant sur des archives, j’ai pu proposer des choses à des clients qui m’achètent de temps en temps des photos pour des couvertures de roman ou de disque. Donc ça m’a permis de bosser des images et de leur proposer pour plus tard, s’ils en ont besoin. Sinon, c’était plus que calme. J’avais quand même quelques boulots avec des objets à photographier. Donc j’ai pu continuer à travailler. Même s’il y a eu beaucoup de choses annulées : des mariages, des médiations sur des projets artistiques dans des écoles… Certains projets avaient débuté et ont été repoussés voire annulés. D’autres projets étaient pratiquement finalisés et on a réussi à les terminer tant bien que mal.

« Photographier les gens quand on porte un masque, c’est très différent. »

Comment vois-tu la suite pour la photographie ? Quelles conséquences va-t-il y avoir sur la profession, sur la pratique ou sur les sujets traités ?

Concernant la pratique, je me suis rendu compte d’un effet auquel je n’avais pas réfléchi. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait des portraits et je portais un masque. D’ordinaire, on est assez expressif dans le bas du visage, pour faire marrer les gens et les détendre car ce n’est pas un exercice facile de se faire photographier. Et j’étais complètement bloqué, incapable de faire passer quelque chose, parce que tout ne passe pas forcément par la parole. C’est vrai que photographier les gens quand on porte un masque, c’est très différent. Sinon, pour le reste, je pense que tout va se recaler, comme les mariages. Ça va prendre un peu de temps. Mais les gens ont besoin de communiquer par l’image de toute façon, que ce soit avec leurs réseaux sociaux, leur site internet… Il y a tellement de moyens de diffusion maintenant ! J’ai des clients qui sont sur plein de plateformes différentes (Facebook, Instagram, site internet, e-commerce…) et ils ont besoin de communiquer.

Est-ce que tu as tout de même des projets concrets qui se dessinent ?

J’ai fait des demandes de résidences d’artistes. Ce ne sera pas avant septembre et je ne suis pas sûr d’être pris. Et puis j’ai un projet qui est arrêté depuis plusieurs mois, c’est de faire un bouquin d’une série que j’ai finie. J’y travaille avec une maison d’édition. Pour l’instant, il faut qu’on cherche de l’argent pour faire du pré-achat, c’est-à-dire qu’il faut qu’on vende déjà des livres pour payer la fabrication. Ce n’est pas chose facile. Les maisons d’édition ont aussi souffert, elles vont peut-être recevoir des aides. Ça pourrait débloquer un peu les choses.

Est-ce que tu as suivi ce que d’autres photographes ont pu produire pendant cette période, sur les réseaux notamment ? Qu’est-ce que tu en penses ?

Ce que j’ai vu était trop reportage pour moi. J’ai trouvé que c’était un peu facile de montrer les gens avec des masques, en noir et blanc, avec un truc très noir, très angoissant. Si, j’ai trouvé un super boulot réalisé pendant le confinement, un travail d’Antoine D’Agata pour Libération fait avec un appareil photo thermique. Je trouve qu’il a su allier le fond et la forme.

Est-ce que tu as mis en place des dispositifs particuliers pendant le confinement pour faire vivre ton travail, comme par exemple de la vente en ligne ?

Non. A part du temps que je me suis dégagé pour faire ces demandes de résidence. C’est quelque chose que je n’aurais peut-être pas fait en temps normal parce que ça demande du temps de monter des dossiers. Et j’ai fait vivre mon Instagram avec ces quelques images postées. Ça doit faire 2 ans que j’y suis et je n’ai posté qu’une quinzaine d’images. Sinon, je n’ai pas fait d’opération commerciale plus que ça. J’ai aussi un site internet.

Pour conclure, est-ce que tu as quelque chose à dire sur la période, sur ton travail ou un message à faire passer au public ?

C’est de rester en contact et de répondre présent dès qu’il y a un truc qui se débloque, pour tous les arts possibles. Nous en tant que photographes on voyage léger, on n’a pas vraiment de structure. C’est à dire qu’on va souffrir, c’est sûr, mais par rapport à d’autres, je pense qu’on peut se relever. On prend beaucoup moins de risques que quelqu’un qui monte une entreprise, qui embauche et qui investit à fond. C’est plus critique pour d’autres professions artistiques, le théâtre par exemple, où ce sont de plus grosses structures. Donc oui, restez présents.

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