Entretien avec Ben Capponi

Il a été l’un des premiers à exposer au Labo. A titre personnel, Ben Capponi a vécu le confinement de manière assez détachée et sereine. A titre professionnel, ce photographe, artisan et gérant du Studio Spiral nous explique comment ses différentes activités ont été impactées.

Propos recueillis par Mariette Barrier le 03 juin 2020.

Temps de lecture : 8 min.

Peux-tu nous présenter tes différentes activités ?

J’ai plusieurs casquettes assez différentes, toutes autour de la photo. Une de mes activités, économiquement la plus importante, c’est la fabrication de matériel en bois pour les procédés anciens : des sténopés, des insoleuses, des châssis… Donc une activité d’artisanat, on va dire. Ensuite j’ai mon activité de photographe à proprement parler, avec une partie qui est un travail d’auteur et une autre partie où je fais beaucoup de formations, de stages et d’animations autour de la photo et de la photo ancienne. Et la troisième et dernière chose, c’est un lieu qui est du même style que le Labo, avec une salle d’exposition et un laboratoire, que j’ai ouvert, je crois, un an après le Labo 1880.

Du point de vue du photographe, auteur, cette période a-t-elle été propice à la création ?

A la création, non. Je pense que j’ai dû faire une vingtaine de photos pendant les trois mois. J’ai très, très peu produit durant cette période, y compris en labo. Par contre, ça m’a permis, comme je fais quasi exclusivement de la photo argentique, de retourner dans mes planches contact. J’ai pu avancer beaucoup plus vite, sur un projet, une série pour laquelle j’avais beaucoup produit en labo dans la période qui précédait. Et donc j’ai travaillé à l’editing de tout ça, pour mettre un peu les images en ordre, faire tout ce tri.  C’est une chose qui a avancé plus que dans une période normale. Voici l’une des photos de cette série :

Ben Capponi – Miami show

Est-ce que tu as eu d’autres activités en lien avec la photo ou l’art en général, des choses qui peuvent aussi relever de l’inspiration ?

Il faut dire quand même que j’ai passé une période de confinement un peu particulière parce qu’il se trouve que mon activité se mène en parallèle entre Grenoble, donc en ville, et un tout petit village du fin fond de l’Ardèche. Et je me suis retrouvé pris en confinement côté ardéchois, dans un isolement quasi-total, avec heureusement à disposition mon atelier, un laboratoire, de quoi travailler. Alors, j’ai énormément profité d’un coin de campagne, d’un rythme très différent. J’en ai profité aussi, techniquement, pour me perfectionner dans des pratiques comme le collodion, qui ne sont pas des projets mais qui relèvent du travail. Ce sont toujours des choses qu’en temps normal on a envie d’essayer, mais qu’on n’a pas le temps de faire. J’ai profité à la fois du lieu où j’étais et du temps que j’avais pour faire ça. De même sur le plan de la fabrication d’appareils : pendant cette période je n’ai quasiment pas pu en vendre, mais à la place j’ai eu du temps pour produire, prototyper des choses, m’occuper de la communication.

Justement de ce point de vue économique et professionnel, comment tu as vécu cette période pas facile ?

Oui, ce n’est pas évident du point de vue du photographe. Alors strictement du point de vue économique, ça n’a pas changé grand-chose parce que les expositions ou les ventes de tirage c’est très mineur dans mes revenus. En revanche pour toute la partie vente d’appareils et, surtout à cette époque de l’année, la partie stage et interventions dans les lycées ou le socio-culturel qui sont purement et simplement annulés, oui c’est une période un peu compliquée.

Est-ce que tu as essayé de mettre en place des choses pour palier ça, par exemple de la vente de photo ou de matériel en ligne ?

Non, déjà parce que, comme je le disais, la vente de tirage reste quand même assez mineure, de même que les expositions. Et puis en ce moment, je pense surtout à l’été qui s’annonce compliqué. C’est une période qui est souvent un peu creuse du point de vue des stages et des ventes et que je consacre soit à des animations photographiques en festivals, soit à de la photographie de rue en autonomie autour de festivals et d’événements. Ça va être un peu acrobatique. Les festivals et les regroupements de personnes importants, dont on a besoin pour faire une activité économique, ne vont pas exister. Il va falloir inventer. Donc pour ce que je mets en place, je dois dire qu’on est un peu dans l’improvisation, en espérant que les ventes de matériel repartent. Et puis je prépare la rentrée. Je suis en train de réfléchir avec plusieurs photographes pour renouveler un peu l’offre de formation et de stage autour de la galerie à Grenoble.

Justement pour la rentrée, est-ce que tu as déjà des choses qui se précisent ?

Depuis peu, on peut recommencer à se regrouper. C’est délicat parce qu’il y a beaucoup de conditions à ça, mais je pense que d’ici une quinzaine de jours je vais relancer au moins une partie de l’offre de stage avec des groupes extrêmement réduits. Mais il a y tant de choses impossibles ou annulées qu’on navigue vraiment à vue et c’est compliqué de se projeter. Par exemple si je veux sortir avec l’afghan box, la chambre de rue, pendant cet été, ça ne sera pas dans les festivals, alors il va falloir être vraiment à l’affût des endroits où c’est à la fois possible et autorisé, et économiquement viable. Ça va vraiment se faire au jour le jour. J’ai travaillé une vingtaine d’année dans le spectacle vivant et j’avais un projet en tête depuis des années qui me tenait vraiment à cœur : la construction et l’animation d’une caravane photo. C’était pratiquement terminé, programmé et acheté par plusieurs festivals cet été. Je suis un éternel optimiste alors je me dis que ce n’est que reporté. Mais c’est sans doute ma grosse frustration, mon gros changement lié au confinement. Parce que ces outils-là sont des outils photographiques, qui sont aussi des outils d’animation, qui sont aussi des outils de rencontre. Et de participation. Quand je parle de festivals, ils sont souvent assez pluridisciplinaires avec des gens qui font du théâtre, des gens qui font de la musique. Et avec les modes de photographie que j’utilise, c’est souvent photographiquement et humainement assez riche.

Qu’est-ce que les gens peuvent faire pour aider les photographes et les artistes en général dans ce moment qui est assez compliqué pour beaucoup d’entre eux ?

C’est compliqué à dire. Une des chances des photographes c’est d’avoir une partie de leur travail qui peut se faire directement avec le public ou le spectateur, ce qui n’est pas le cas du spectacle vivant, par exemple, où il faut une vraie organisation. Donc achetez des tirages et participez à des stages. Il m’a semblé, peut-être parce que j’y ai passé plus de temps, que la période de confinement avait suscité un intérêt, notamment dans le domaine de l’argentique. J’ai le sentiment que les gens en parlaient plus, qu’il y avait plus d’activité autour de ça, notamment sur les réseaux sociaux, et que des gens s’y essayaient ou en avaient envie. C’était déjà le cas avant, mais pendant le confinement c’était sans doute plus visible. Cela veut dire aussi qu’à plein d’endroits, ces gens-là vont peut-être avoir envie soit de se former, soit d’utiliser les laboratoires qu’ils ne peuvent pas avoir chez eux. C’est ce que je propose au Studio Spiral. Mais d’une manière générale, achetez de l’art. On a beaucoup aussi de messages de soutien, d’encouragement et ça c’est super important.

Où peut-on voir ton travail ?

Alors il y a un site qui n’est pas vraiment très à jour et qui porte mon nom : bencapponiphoto.com ; et il y a le site de l’équivalent du Labo 1880 : lestudiospiral.com.

Penses-tu que l’épidémie et le confinement, auront un impact sur ton travail, artistiquement ?

Non je ne pense pas. Je ne sais pas si c’est parce que je l’ai vécu d’un peu loin. Quand je dis « à la campagne », c’est que j’étais dans la dernière maison du dernier hameau d’un tout petit village, dans la forêt. Je n’ai pas vécu un confinement citadin ou un confinement contraignant, si ce n’est pour le volet professionnel. Mais psychologiquement, ce n’est pas quelque chose qui m’a marqué. En tout cas bien moins que beaucoup de gens dont les conditions étaient un peu plus en décalage avec leur vie habituelle. J’ai un peu suivi avec curiosité sur les réseaux ce que pas mal de gens faisaient. Je me suis dit qu’on aurait beaucoup de projets centrés autour de ça dans les mois qui viennent. Mais moi non, ça ne m’a pas titillé.

Et qu’as-tu pensé de ces travaux d’autres photographes, peut-être plus marqués par tout ça ?

Ce que j’en ai vu jusqu’ici, ce sont souvent des choses un peu éparses, des tentatives. Je pense qu’on verra arriver un peu plus tard des choses mises en ordre et pas simplement des accumulations de photographies. Mais il y a des perles artistiques qui vont naître là-dessus. Pour l’instant, j’ai vu des travaux de photoreportage, des choses qui se situent à la frontière entre le projet artistique et le photoreportage, mais je n’ai pas encore vu de projet abouti.

Un mot pour conclure ?

Rien de spécifique au confinement. Comme je l’ai dit, j’en suis encore assez éloigné. Depuis que le confinement est quasiment totalement terminé, qu’on peut ressortir et se déplacer, eh bien moi je suis encore dans un endroit où je n’en ai pas ressenti le besoin. Ça m’a moins touché que tous mes amis, mes connaissances, ma famille, qui eux sont en ville et viennent de passer deux mois dans un deux pièces et que ça a certainement bousculé. Donc la trace psychologique, créative, elle est en fait assez neutre. Il y a eu de l’introspection, forcément, parce qu’on voit moins de monde. Mais le boulot de photographe c’est en partie, en tout cas quand on fait de l’argentique et du labo, un travail assez solitaire. Du point de vue créatif, ce n’est pas quelque chose qui m’a beaucoup inspiré. J’avais d’autres idées préexistantes en tête, dont la série que j’évoque au début et qui était en cours. C’est le problème de ces travaux-là : à un moment il faut bien y mettre un point final, mettre en forme et montrer à un public. J’en étais un peu là au moment où le confinement est arrivé, et c’était presque parfait en termes de timing : il n’y avait plus qu’à mettre le nez dans les images, les préparer, éditer ça, faire des choix et le projet va aboutir.

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