Rémi Boissau est photographe depuis 30 ans. Il navigue entre son activité artistique et son boulot à la Mairie de Clermont-Ferrand. Il nous raconte son confinement, entre écoute de disques, balades photographiques et plongée dans ses archives pour son projet de triptyques, dont l’acte 1 était présenté au Labo en février dernier.
Propos recueillis par Mariette Barrier le 27 mai 2020.
Temps de lecture : 9 min.
Peux-tu nous raconter ce que tu as fait pendant ces deux mois ? Quels effets le confinement a-t-il eu sur ton travail ?
J’ai deux casquettes d’auteur et de fonctionnaire puisque je travaille pour la Mairie de Clermont. A ce niveau, tout a été suspendu au 17 mars et il n’y a pas encore de véritable reprise. J’ai un petit programme de prises de vues à faire sur la ville : la place de Jaude avec des gens masqués, des rues de la ville et je vais être un peu sollicité dans les crèches et les écoles qui reprennent. Sinon, pendant les 8 semaines qui sont passées je suis resté à la maison. J’ai continué à faire des photos malgré tout dans la ville, puisqu’on avait le droit de sortir un peu. J’avais tout le temps un petit boîtier dans ma poche et j’ai fait 100 ou 150 photos sur des promenades comme ça. Mais rien de bien sérieux, juste de quoi rester l’œil un peu ouvert et continuer à photographier.
Par contre, cette période a été très profitable parce que j’ai pu me replonger dans toutes mes archives. Depuis trente ans, j’ai énormément de choses. J’essaie de mettre ça en ordre, avec une certaine logique de rangement. C’est important pour un photographe d’être rigoureux dans son classement. Je me suis replongé dans les négatifs, les planches contact et j’ai scanné des choses qui vont servir à faire avancer mon projet de triptyque. L’acte 1, c’était l’expo qui était en février au Labo. J’ai 12 autres triptyques prêts pour l’acte 2 et je suis parti sur une troisième série de 12 en allant gratter dans tous ces négatifs. Quelquefois, tu as de très bonnes surprises. Tu retrouves des choses que tu avais un peu laissées en suspens 10, 15 ou 20 ans et qui tiennent encore la route. Parce qu’en regardant une photo, tu peux te dire : « est-ce qu’elle tient encore la route, est-ce qu’elle mérite d’être ressortie ? » J’ai retrouvé aussi de la photo familiale, c’était assez amusant. Toute cette réflexion-là a bien alimenté mon temps. J’ai numérisé avec un petit scan Epson qui va très bien pour travailler sur des bons à tirer. Quand j’ai besoin de scans plus précis je vais voir Laurent à l’Atelier Baryté. Mais pour avoir un premier avis sur l’image ça va très bien. Tous mes outils, je les ai ici et c’est plutôt pas mal.
Maintenant qu’on peut sortir de nouveau, as-tu repris la photo en extérieur ?
J’ai repris avec la Mairie en photographiant les chantiers. Et puis je fais un travail de mémoire sur les quartiers de la ville depuis 3 ans, avec une vingtaine de spots dans la ville sur lesquels je reviens régulièrement, en appliquant à chaque fois le même cadre, la même focale, au même moment de la journée, pour voir l’évolution du paysage. Dès que j’ai un trou, je vais sur ces spots, je mets mon boîtier sur pieds et je refais exactement la même photo en essayant d’être le plus précis possible. C’est un projet de l’Observatoire du Paysage qui existe depuis 20 ans dans plusieurs villes. C’est quelque chose de très, très intéressant que j’ai proposé à la Mairie et qu’elle a accepté. Pour le reste, mis à part ces petites photos que je faisais en me baladant, je ne me suis pas remis sur des projets précis. Je suis un peu dans les starting blocks, j’ai fait rentrer de la pellicule. La photographie est toujours là, ce n’est pas quelque chose que j’ai mis de côté. J’ai toujours ma collaboration avec l’association Sténopé. On est en train de préparer le prochain festival pour octobre, avec toutes les contraintes qu’on peut avoir en ce moment. Le thème de cette année c’est « Du profane au sacré », on est en train de travailler là-dessus.
Concernant le Festival Nicéphore +, organisé par l’association Sténopé, peux-tu nous en dire un peu plus ? Comment se passe la préparation avec les contraintes que tu évoques ?
Les contraintes, elles seront du point de vue des visites des expos, ça va être des mesures à prendre très strictes. Au niveau des événements qu’on avait prévus autour des expos, tout est annulé. Nous avions par exemple envisagé une résidence de photographes du coin pour faire une mise en scène et une prise de vue dans la chapelle des Carmes, en lien avec le thème du festival. Ce projet-là ne se fera pas. Sinon, ça se déroule toujours du 8 au 31 octobre. On a au moins 10 ou 12 expos qui sont sur les rails, elles auront lieu dans les endroits habituels du festival. C’est en cours d’élaboration.
Tu as dit avoir fait des photos en te baladant pendant le confinement. Est-ce que justement le confinement et l’épidémie sont présents à l’image ?
Pas forcément. J’ai pu faire quelques plans larges de la ville et c’était assez impressionnant. Mais les toutes premières fois où je suis sorti, j’étais avec mon boîtier, une longue focale et de l’argentique. Il y avait une espèce d’ambiance assez incroyable. Il neigeait presque, la ville était en noir et blanc. Il n’y avait pas un chat, je marchais tout seul. Ça me faisait une impression très, très étrange. J’ai tout photographié en très longue focale, donc en plan très serré. J’ai dû faire une quinzaine d’images. Je n’ai pas encore tiré la bobine, j’attends de voir ce que ça donne. Je ne suis pas très pressé à chaque fois que je travaille en argentique sur le fait de développer. J’aime beaucoup laisser les pellicules sur l’étagère pour remuer un peu l’imaginaire, c’est le côté un peu poétique de la photo argentique. Tu laisses mûrir le truc un peu comme un fromage, ou comme du vin. Là je n’ai pas fait de labo depuis deux mois.
Qu’en est-il des autres photos que tu as prises ?
C’est avec un petit boitier numérique que j’avais dans ma poche. On sent un petit peu l’abandon dans la ville. Ce ne sont pas des photos en très haute définition. J’ai du mal à photographier avec mon téléphone. Pour faire de la photo technique de choses c’est bien, mais pour faire des choses un peu plus pointues et précises, j’aime mieux avoir un vrai appareil photo, ça c’est une chose à laquelle je suis attaché.
Pour revenir au confinement, il y a plein de choses que je rattache à mon travail. La photographie fait partie de la grosse marmite dans laquelle se mettent plein de choses : la musique, l’écoute de disques sur lesquels je n’étais pas revenu depuis longtemps, des bouquins de peinture que j’ai pu ouvrir, des films que j’ai pu voir. Ça fait un tout. Ces 8 semaines ont été une grande parenthèse très intéressante. Même si c’était je pense un peu pesant sur la fin, parce qu’il y a aussi le fait de ne plus voir de gens qui est quand même rude. Rien ne vaut un échange, de parler, de se raconter des bêtises. Mais c’est très étonnant, vraiment, le temps qu’on vient de passer là. Je l’ai considéré un peu comme une mi-temps. On repart sur une deuxième mi-temps avec des données et un rapport à l’autre complètement différents. Ça va très certainement jouer sur le travail que nous allons faire, nous les photographes et les artistes. Et puis avec tout ce qui se passe en plus au niveau du spectacle, de l’intermittence, de toutes ces choses qui sont aussi liées pour moi, tout ça fait partie d’un même tout, de la culture. J’espère que ça ne va pas trop morfler.
Justement, pour le milieu artistique c’est assez compliqué en ce moment. Pour toi c’est un peu différent, mais il y a beaucoup de photographes qui ont un statut d’indépendant et pour qui c’est difficile, quel regard portes-tu là-dessus ?
Je suis privilégié. Je m’estime très, très chanceux. Il y a 15 ou 20 ans, j’y suis allé un petit peu à reculons dans ce travail à la Mairie. Mais j’avais une famille, trois enfants à élever, il fallait que je bosse. C’est vrai que ce n’était pas vraiment très sexy le métier de photographe de collectivité. Je ne le regrette pas maintenant. J’ai cette espèce de matelas de sécurité et la chance de continuer à toucher un salaire. Ce qui n’est pas le cas de mes autres collègues photographes.
Comment les gens peuvent soutenir, à leur niveau, les photographes et artistes ?
Tout simplement en leur achetant leurs photos. Je pense à Nicolas Anglade par exemple qui n’est pas dans ma situation, qui prend le taureau par les cornes et qui propose son travail à la vente en ligne. Je trouve que sa démarche est courageuse et j’ai l’impression qu’il a du retour. J’ai envie de dire ça : acheter une image, acheter de la photographie. Ce n’est pas encore complètement rentré dans les mœurs ici en France, je pense que ça l’est beaucoup plus dans un pays comme les Etats Unis.
Justement, y a-t-il un endroit où on peut voir ton travail ?
Quand les gens me demandent où on peut voir mon travail, je leur envoie un dossier où ils peuvent voir mes triptyques en basse définition. J’y réponds bien volontiers. Je suis très gêné par la dématérialisation des images car j’aime bien avoir les images en main. C’est pour ça que j’ai beaucoup de mal à montrer mon travail en ligne. J’aime mieux avoir la personne devant moi, avoir une grosse boîte, puis ouvrir la boite et qu’elle puisse regarder mes images. Je trouve ça plus intéressant que de manière très froide à travers un blog. J’aime bien que les gens sentent quelque chose, que ça respire. Donc je n’ai pas de site, pas de blog. Si les gens veulent s’intéresser à mon travail, ils peuvent me contacter par e-mail à boissau.strapontin@wanadoo.fr pour échanger et que je leur envoie des choses.
Un mot pour conclure ?
Ce qui ressort de tout ça, c’est maintenir un collectif, c’est important, c’est vraiment important. Et puis dans tout ce qu’on va traverser maintenant, si la notion de collectif n’est pas là, c’est cuit. Il faut se serrer les coudes et faire face ensemble, c’est plus drôle que de le faire tout seul.