Jean-Philippe Robert est photographe amateur, en parallèle de son métier d’éducateur. Il pratique la photographie de rue depuis 2006, en France et à travers le monde. Il avait présenté une série sur la côte ouest américaine, intitulée West Exp, au Labo en avril 2019. Il nous parle de son besoin de pratique artistique, « de faire des photos », mais aussi des inspirations et de la notion de temps qui lui sont chères.
Propos recueillis par Mariette Barrier le 28 mai 2020.
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« J’essaie de gommer les indices temporels de mes photos. Je n’aime pas forcément qu’elles ressemblent à la société dans laquelle on vit. »
Pouvez-vous vous présenter rapidement et décrire votre travail ?
Je suis autodidacte depuis 2004, à l’époque où j’ai reçu de la part de mon père un vieil appareil qui appartenait à mon grand-père. J’ai toujours été attiré par l’art, j’ai fait de la musique avant de venir à Clermont-Ferrand. Et là, c’était une période où j’avais arrêté la musique. J’étais un peu désemparé parce que j’ai besoin d’avoir une activité artistique en plus de mon activité professionnelle. Cet appareil a donc été la bonne occasion. J’ai décidé d’essayer la photo. J’ai acheté mes pellicules et puis j’ai commencé à faire des photos dans la nature mais ça m’a assez vite ennuyé, même si j’adore la poésie de la nature. J’avais besoin de continuer à expérimenter le potentiel de la photo en noir et blanc, à mon niveau. Donc en 2006, j’ai commencé à photographier dans la rue, d’abord à Vichy.
Maintenant je photographie un peu plus à Clermont, mais pendant quasiment dix ans je n’ai pas pu le faire parce que, j’ai besoin dans ma démarche d’un certain anonymat, de découvrir des lieux que je ne connais pas, de ne pas croiser qui que ce soit que je connais. Je suis allé à Marseille, à Paris, et puis en 2008 j’ai commencé à partir à Athènes, à Bucarest, en Roumanie, à Madrid, à Londres. J’ai fait pas mal de villes européennes, en continuant à travailler en France à Boulogne-sur-Mer, Nantes… Jusqu’à 2016, j’ai fait une série de 70 photos de rue, ce qui a fait l’objet d’un film documentaire en 2017 : « Je ne suis pas photographe ».
En 2016, j’ai commencé une nouvelle série, j’ai continué la photographie de rue en France. Et en 2018, j’ai eu la chance de partir pendant trois semaines sur la côte Ouest des Etats-Unis, qui a été l’objet de l’expo au Labo 1880. Et depuis je continue à faire de la photo, un peu moins en ce moment, évidemment. Je ne fais que du noir et blanc, de temps à autre un peu de couleur mais c’est très rare. Je suis vraiment attaché au noir et blanc. Je n’utilise qu’une seule pellicule, la HP5. Je fonctionne au 50 millimètres, donc c’est vraiment un petit objectif qui exige de se mettre au plus près des gens. J’aime bien les photos des années 30 jusqu’aux années 70, plus ou moins d’origine documentaire avec par exemple Walker Evans. Je suis assez classique, je n’aime pas forcément la photo contemporaine. J’aime les photographes comme Walker Evans, Cartier-Bresson, toute l’école de New-York avec Diane Arbus, Weegee, Gary Winogrand, Robert Frank… Je suis assez fasciné par la notion de temps. Dans la photographie que j’essaie de faire, il y a cette recherche de classicisme que j’aime bien. J’essaie de gommer autant que je peux les indices temporels dans mes images. J’aime bien, quand on regarde une photo, qu’on ne puisse pas la dater précisément. Et, ce qui va paraître un peu paradoxal par rapport à la période qu’on vit, je n’aime pas forcément qu’elles ressemblent à la société dans laquelle on vit.
Durant le confinement, avez-vous pu continuer les prises de vues ?
J’ai fait de la couleur justement, une vingtaine d’images, mais je n’en suis pas satisfait. Et par ailleurs, je fais de la peinture et du collage depuis le début du confinement. Ça me trottait déjà dans la tête depuis longtemps, d’essayer de me mettre aux arts graphiques. J’aime bien tout le courant surréaliste, le courant Dada, toute cette période, même en littérature. J’aime Marcel Duchamp, une sorte d’art contemporain aussi. J’ai fait un peu de couleur en photo et puis j’ai fait de l’art graphique, je me suis occupé comme ça, en continuant à travailler parce que je n’étais pas, fort heureusement, au chômage partiel. J’ai continué mon métier d’éducateur en protection de l’enfance.
Est-ce que vous avez profité de ce moment pour vous replonger dans vos photos passées, vos travaux précédents ?
Disons que oui, parce que j’ai un ami qui développe mes photos depuis plus de 10 ans. Il était en chômage partiel, alors je lui ai donné du travail pour mettre un peu de beurre dans les épinards. Et comme ça, j’ai eu mes planches plus rapidement. J’ai pu voir des trucs que j’avais faits et j’ai tiré des images en baryté. Peut-être pour une expo, mais je n’ai pas trop l’habitude d’exposer, il faut vraiment que je peaufine le truc. L’expo West Exp c’était vraiment une série avec un début et une fin, dans un lieu précis. Là, j’ai pas mal de photos que j’ai faites depuis 2017, pendant mon séjour à Paris… Donc bien évidemment, j’ai mis le nez un peu dans mes archives, c’est toujours agréable.
« Ce qui m’intéresse le plus ça reste la prise de vue, c’est toujours de faire des photos plutôt que de vouloir absolument les exposer. »
Dans ce que vous avez produit durant le confinement, les photos couleur et les collages, le virus et le confinement étaient-ils présents ?
Oui je pense qu’il a été présent. Après, je n’ai pas encore vraiment formalisé cette démarche des collages et de peinture. Ce sont surtout des couleurs que je travaille, de l’iconographie, des images de magazines. Mais oui, j’ai un collage où je fais référence particulièrement à cette pandémie, mais qui n’est pas terminé. Sinon, les autres choses que je fais sont plutôt abstraites, or c’était une période qui se trouvait plutôt abstraite aussi, par rapport au quotidien de tout le monde après cette rupture. Ce côté abstrait rappelle effectivement cette période un peu chaotique du confinement. Il y a aussi cette photo que j’avais postée sur Facebook, elle est en couleur : une espèce d’église très en pointe qui me faisait penser un peu à ce virus, plein de pointes, dans un ciel assez vert à cause de la pellicule que j’avais utilisée.
Avez-vous pensé à l’après ? Est-ce que vous avez des projets autour de la photo ?
Comme je suis amateur et que je fais de la photo de rue, je n’ai pas de sujet en particulier, je ne fonctionne que dans la rue. Donc mis à part aller dans des espèces de réflexions oniriques pour m’inventer une série particulière avec des photos particulières… J’avais en projet de faire, éventuellement, une petite expo sur Paris. Et j’ai envie de faire une autre expo sur la notion de temps, avec des photos d’enfants, quelque chose qui sera peut-être plus lié à cet avant et à cet après, à cette épidémie. J’y réfléchis. Mais ce qui m’intéresse le plus, ça reste la prise de vue, c’est toujours de faire des photos plutôt que de vouloir absolument les exposer ou les mettre sur internet. Je n’ai pas de site internet, je préfère faire des photos plutôt que les poster sur Instagram et compagnie. Je travaille plutôt avec une sorte de confidentialité dans mes photos.
Il n’y a vraiment aucun endroit en ligne où on peut voir votre travail ?
Si, l’année dernière j’ai créé un espace sur Joomeo, qui est une plateforme où on peut placer ses photos, avec à la fois un accès privé et un accès public. En ce moment je ne m’en sers pas. Je préfère rêver en attendant la prochaine sortie pour faire de la photo ou faire de la peinture et des collages plutôt que me mettre devant un ordinateur pour classer mes images. Une fois de temps en temps je poste une photo sur Facebook. Ce que j’ai fait aussi pendant le confinement, c’est numériser un peu mes images, donc maintenant je les ai sur clé USB et je peux les mettre plus facilement sur internet.