Patrice Dhumes nous a reçues dans son atelier, le temps de répondre à nos questions et de nous faire une démonstration d’un procédé qui lui est cher, le collodion humide sur plaque de verre. Il nous en dit un peu plus sur son univers et sur son confinement.
Propos recueillis par Mariette Barrier le 10 juin 2020.
Temps de lecture : 6 min.
Est-ce que tu peux nous présenter ton travail ?
Mon boulot en photographie, ce sont essentiellement les procédés anciens. Donc la plupart des procédés pionniers de la photographie du XIXe siècle. Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, mon travail est vraiment centré sur la prise de vue au collodion humide sur plaque de verre. Mais c’est un aboutissement qui fait suite à une évolution dans différents procédés de tirage comme la gomme bichromatée, le papier aluminé, le papier salé, le tirage au charbon, le cyanotype. Tous ces procédés m’ont emmené petit à petit à en découvrir d’autres, dont le procédé de prise de vues au collodion humide.
Toute cette période qu’on vient de vivre a-t-elle été propice pour créer ? Est-ce que tu as continué à pratiquer ces procédés ?
A pratiquer les procédés, oui. Par contre, les sujets se faisaient assez peu variés, dans le sens où j’avais déjà travaillé pendant deux ans sur mon jardin, à photographier les pots de fleurs et les arbres. Donc j’ai repris ce travail-là sur quelques plaques. Pour moi c’était terminé mais par la force du contexte, je l’ai repris, puisque je ne pouvais plus recevoir personne ici. Mais le confinement m’a permis de me poser et de réfléchir sur mes éclairages. J’ai travaillé plus sur les éclairages que sur la technique du collodion humide, en vue justement de modifier l’aspect de mes images pour qu’elles soient plus photographiques que techniques, à terme. Par manque de sujets j’ai aussi tenté l’autoportrait à la chambre. Ce sont des tentatives, je n’ai jamais réussi à avoir le plan de netteté comme je voulais. Il y a plus simple et plus fonctionnel mais ça m’a bien occupé un petit moment du confinement.
Est-ce que tu as été plus ou moins productif que d’habitude ? Est-ce que ton rythme a changé ?
Oh, c’est très variable. Ni plus, ni moins. Je marche par phases. Je vais en faire beaucoup pendant deux semaines et ne rien faire pendant un mois après. Donc tout ce que je peux dire c’est que là, j’en ai fait, j’ai pratiqué. En revanche, j’ai failli être en panne de produits à cause du confinement ! J’ai eu peur mais j’ai fini par retrouver un petit flacon de nitrate d’argent. J’ai des amis qui ont eu ce problème et se sont retrouvés en pénurie de produit et de papier.
Tu as dû changer de sujet et te recentrer sur ce que tu avais sous la main. Est-ce que depuis que les règles se sont adoucies, tu as repris une pratique plus habituelle ?
Oui, j’ai été contraint de revenir sur un sujet que j’avais déjà exploité et de freiner l’orientation vers laquelle j’allais qui été de reprendre le portrait. J’avais un peu abandonné depuis quelques années et j’aimerais en faire plus. J’étais dans une dynamique qui tendait vers ça. Effectivement, récemment, j’ai pu reprendre les séances de portraits et de nus. Et normalement ça devrait continuer.
Dans les photos que tu as pu faire, as-tu abordé le confinement, la pandémie ?
Du tout. A la différence de beaucoup de photographes, mes images ne sont que le reflet de mes envies, sans aucun message ni politique ni social. Elles sont plus dans l’esthétique.
Est-ce que tu t’es replongé aussi dans tes archives photos ?
Non. J’ai ressorti quelques anciens portraits et nus seulement parce qu’ils reflètent la volonté de revenir à ce travail et ce thème là. En sachant qu’une trentaine d’années sont passées et que l’approche des modèles ne sera pas la même aujourd’hui. Donc je suis un peu revenu sur un travail que j’affectionnais il y a une trentaine d’années et que mon studio va me permettre de refaire, pour peu que j’arrive à adapter les contraintes du collodion humide aux images que je veux faire ou l’inverse plutôt, adapter les images aux contraintes du collodion humide.
Est-ce que tu es photographe professionnel ?
Non. J’ai toujours été amateur. Les professionnels au collodion humide et procédés anciens, s’il y en a, ne sont pas légion. J’en connais qui en vivent mais ils sont très, très peu. Et je n’ai aucune démarche commerciale, dans quoi que ce soit d’ailleurs.
As-tu tout de même un endroit où on peut voir tes photos ? Un site ?
J’ai un site, où on peut voir quelques photos, mais qui est très peu mis à jour : patricedhumes.com. Sinon, on peut voir mes images quand je les expose mais c’est peu fréquent. On pourra les voir en octobre à Gex, dans le Jura, pour les Confrontations Photo qui est une très belle rencontre. Et puis on a pu les voir au Labo 1880 l’an dernier, en avril 2019 pour les Journées Européennes des Métiers d’Art. On aurait dû les revoir cette année, dans ce même cadre, avec des démonstrations prévues. C’est dommage mais ça se fera sûrement l’an prochain.
Peux-tu nous en dire plus sur cette exposition à Gex ?
A Gex je suis invité en tant que démonstrateur de procédé, ce qui me permet d’y exposer. Le ticket d’entrée, non pas financièrement mais qualitativement, est très élevé. C’est donc grâce à la spécificité de mes procédés que je vais là-bas. Je suis quand même content d’exposer avec eux, ça me regonfle l’égo !
Pour en revenir à cette période, est-ce que tu as suivi ce que d’autres photographes ont pu faire, produire ?
Eh bien j’ai lu les interviews déjà ! Mais ça c’était un peu après. Non, je n’ai rien suivi. Les procédés anciens c’est un peu un enfermement. On est tellement peu à le pratiquer qu’on regarde tous ce que font les copains mais on regarde moins le reste. Personnellement, je me concentre plus sur ceux qui pratiquent les mêmes techniques que moi pour découvrir ce qu’ils font et pousser un peu plus loin les possibilités de ce que je ferais. Donc c’est vrai que j’ai un intérêt assez centré sur les procédés anciens. Je ne suis pas trop l’actualité des autres en local non plus, parce que je suis un peu seul à faire ce que je fais. Mes intérêts sont plus sur des photographes étrangers et nationaux. J’aime bien voir des expos, mais comme j’ai du mal à me déplacer à Clermont, j’en vois peu.
A ton avis, quelles conséquences le confinement aura sur la photo de manière générale ?
J’ai une situation particulière. Je ne vis pas de la photographie, donc pour moi, le confinement n’aura rien changé. Même si elle reste essentielle, ma pratique est de loisir. Je suis dans ma bulle, je me fais plaisir à faire des photos, si elles sont réussies je suis content, si elles sont ratées ce n’est pas grave. Moi comme je n’en vis pas et que je suis amateur, mes préoccupations ne sont pas les mêmes. Alors ce qu’il va advenir des photographes professionnels, je ne sais pas. Il y a déjà eu une grosse sélection avec l’avènement du numérique il y a une vingtaine d’années. Ceux qui ont survécu ou ceux qui sont apparus à la suite de ça ont développé autre chose. Je pense que ça va être un peu comme la fin de l’argentique : ceux qui ont le plus de personnalité et de talent vont s’en sortir. Je pense quand même que ça va faire du mal pour les collègues, pour les vrais professionnels.
Et sinon, est-ce que tu as eu d’autres activités, dans le domaine de l’art ou un autre ?
Oui dans la peinture : j’ai repeint mon portail ! Je me suis lassé assez vite d’ailleurs. On a fait aussi beaucoup de cuisine et on a pris des kilos. J’ai fait du home-trainer pour remplacer mes sorties à vélo.